T33

Chapitre 3 : Economie Publique

Partie 3 : Externalités

 

1.                   Introduction

Définition 1:

 on dit qu’il y a externalité lorsque l’activité de consommation ou de production d’un agent a une influence sur le bien-être d’un autre sans que cette interaction ne fasse l’objet d’une transaction économique.

 

On distingue les externalités négatives et les externalités positives.

 

La pollution est l’exemple le plus typique d’externalité négative : lorsqu’une usine pollue son environnement en rejetant des déchets, elle inflige une nuisance aux habitants de la région. Cette pollution n’est pas nécessairement attachée à des rejets toxiques, elle peut être visuelle (la construction d’un équipement productif ou même de logements peut altérer la vue initiale des riverains), sonore, ou de manière plus générale, modifier certains équilibres naturels ce qui, indirectement, peut affecter le bien-être de certains agents de l’économie.

 

L’encombrement dû à la circulation automobile est un exemple d’externalité négative réciproque : chaque automobiliste gêne son voisin de sorte que l’augmentation de la circulation entraîne une congestion qui rend les déplacements de plus en plus difficile.

 

On parle d’externalité positive dans le cas où l’interaction aboutit à une augmentation de bien-être. L’effet de norme ou de club est l’exemple d’externalité positive réciproque : la valeur accordée par un consommateur à un produit ou à un service augmente lorque le nombre de consommateurs de ce produit ou service s’accroît. Ainsi en est-il par exemple du téléphone ou de la télécopie: plus le réseau est étendu, plus nombreux sont les correspondants accessibles et donc plus le raccordement devient intéressant pour un nouvel abonné.

 

La caractéristique d’une externalité est de ne pas  être associée à une transaction économique. Il en résulte que l’arbitrage présidant à  la décision privée ne tient pas compte des coûts ou des avantages associés à l’externalité . Dans le cas d’une externalité négative cette omission aboutit à une sur-pollution. Dans le cas d’externalité positive cela conduit au contraire à une sous production.

 

Restaurer l’efficacité suppose alors la mise en place d’instruments dont l’objectif est d’internaliser l’externalité. C’est à dire des instruments susceptibles de réintroduire les coûts ou avantages externes dans l’arbitrage privé.

Nous allons examiner, pour le cas de la pollution, les différents instruments envisageables.

 

 

2.     Un modèle de Pollution

 

Pour fixer les idées, nous allons utiliser un modèle simple de pollution. Des usines, en nombre K, sont installées au bord d’un lac et y déversent des déchets qui détériorent la qualité de l’eau. La quantité de déchets déversée par l’usine j est notée . La qualité de l’eau dépend de la quantité totale de déchets déversés,   désigne la qualité de l’eau pure. Sans aucune réglementation ou intervention publique, les entreprises ne sont pas incitées à réduire leur pollution. Dans ce cas elles déversent chacune une quantité de déchets égale à   ce qui conduit à une eau de mauvaise qualité . Pour les riverains du lac, la qualité de l’eau est un bien public. Le consentement à payer du consommateur i pour passer d’une eau de qualité  à une eau de qualité y est notée , le consentement marginal à payer correspondant sera noté .

Chaque entreprise a d’autre part accès à une technologie de traitement de déchets qui lui permet, moyennant un coût de dépollution, de rejeter moins de déchets dans le lac. On supposera que le coût de dépollution pour passer d’une quantité de rejet  à une quantité q pour l’entreprise j s’écrit :

 

 

, supposée décroissante, s’interprète comme le coût marginal de dépollution. Ce coût marginal est d’autant plus fort que la quantité de rejets est faible : on traduit ainsi la difficulté croissante inhérente à la dépollution.

 

Du point de vue de l’efficacité collective il y a un double arbitrage à réaliser : l’arbitrage entre le coût de dépollution et l’avantage de disposer d’eau plus pure d’une part, et la répartition de la charge de dépollution entre les différentes firmes d’autre part.

 

Il est clair d’abord que le coût total de dépollution, pour un niveau donné de rejets, doit être minimisé. Ceci impose donc que, pour chaque niveau total donné de rejets q envisagé, les quantités de rejets des différentes entreprises soient  :

C’est à dire telle que la répartition des rejets minimise le coût total.

 

Il en résulte qu’on doit répartir la charge de dépollution de manière à égaliser les coûts marginaux de dépollution :

Si ce n’était pas le cas il serait toujours possible, à quantité totale de déchets donnée, de diminuer le coût total en autorisant une augmentation des rejets de l’entreprise ayant un coût marginal élevé compensée, à due concurrence, par une diminution de ceux de l’entreprise ayant un coût marginal faible.

Si l’on note :

le coût total de dépollution, on a bien sûr, par le théorème de l’enveloppe :

 

 

Le coût marginal total de dépollution (que l’on notera ) est égal, à l’optimum, au coût marginal commun de chacune des entreprises.

 

Il s’agit ensuite de déterminer le niveau efficace de pollution total. Clairement, la qualité de l’eau est un bien public pour l’ensemble des consommateur. L’Equation de BLS nous donne alors la solution : la quantité efficace de rejets  est solution de :

 

3.         Les instruments

Taxe ou subvention?

Spontanément, il n’y a aucune incitation, pour les entreprises, à entreprendre une réduction de leur émission de déchets. Quels instruments sont susceptibles de les responsabiliser?

La première idée serait d’appliquer le principe “ pollueur -payeur ” en taxant les entreprises en fonction de la quantité de déchets déversés. C’est là, en quelque sorte, un instrument d’intéressement “ négatif ” : la pollution est sanctionnée.

 La seconde solution consisterait à subventionner la dépollution. C’est plutôt là un instrument d’intéressement “ positif ” : la dépollution est récompensée.

Ces différentes solutions correspondent comme on le verra un peu plus loin à une répartition implicite des droits de propriété sur le “ bien public ” environnement.

Examinons plus généralement l’incidence d’un instrument mixte comprenant, une taxe linéaire à la pollution , et une subvention affine à la dépollution comportant une partie forfaitaire et une partie proportionnelle au coût de dépollution, .

Face à un tel instrument, la firme j choisit un niveau de rejet qui minimise le coût restant à sa charge :

 

c’est à dire vérifiant :

 

 

Comment faire alors pour que la décision de l’entreprise soit efficace? Un simple coût d’oeil suffit pour remarquer qu’en fixant les paramètres fiscaux de manière à avoir  , où  est le niveau efficace déterminé dans le paragraphe précédent, alors la puissance publique incite chaque entreprise à choisir le comportement optimal. En choisissant les paramètre fiscaux de cette manière, l’Etat incite chaque entreprise à un comportement efficace.

Il faut remarquer cependant que la fixation du schéma fiscal optimal est fortement conditionné par l’information dont dispose la puissance publique : il faut, d’après les équations précédentes, que la puissance publique soit en mesure de calculer  ou de manière équivalente, qu’elle puisse résoudre l’équation de BLS associée au problème.

 

Par ailleurs, taxe et subvention apparaissent comme instruments substituts au sens où un niveau élevé de la taxe implique un niveau faible de la subvention. Pour , on obtient l’application du seul principe “ pollueur-payeur ” et le niveau de taxe doit être égal au coût marginal de dépollution, c’est à dire à l’optimum exactement égal à la valeur de la perte de bien-être associée à une pollution supplémentaire. Au contraire le choix d’une subvention élevée implique un niveau de taxe faible. De manière schématique on voit que le dosage entre les différents paramètres fiscaux induit une répartition différente du surplus dégagé par rapport à la situation initiale : la taxation se fait au détriment des entreprises, la subvention à son profit.

 

 

Externalités et droits de propriété

 

Une autre façon d’interpréter cet effet redistributif consiste à considérer la situation initiale (pollution maximale) comme une configuration dans laquelle les droits de propriété sur un bien, l’environnement,  font défaut. Si l’on spécifie, par exemple, que l’environnement “ appartient ” de plein droit aux consommateurs, alors ceux-ci sont en mesure de “ monnayer ” l’usage de cet environnement comme réceptacle à déchets. La taxe s’interprète ici comme le prix de cet usage. Au contraire, si l’on spécifie que l’environnement “ appartient ” au secteur productif, celui-ci est en mesure de “ vendre ” la qualité de l’eau, et c’est la subvention qui joue ce rôle. Certains auteurs (...) affirment que le problème des externalités est en fait causé par l’absence de droits de propriété clairement définis sur certains biens. Si le comportement d’un agent influence le bien-être d’un autre sans qu’il y ait transaction, c’est que la victime ne peut pas institutionnellement faire valoir un droit à  “ ne  pas être gêné ” ce qui peut dans de nombreux cas se traduire par un droit sur la propriété du “ vecteur ” de l’externalité : l’air, l’eau, le paysage...

Reprenons l’exemple des entreprises au bord du lac. Supposons que les consommateurs sont représentés par la puissance publique et généralisons l’idée de droit de propriété sur l’environnement de la façon suivante. La ressource environnementale est caractérisée, ex ante, avant toute intervention,  par une eau pure de qualité . Polluer revient à consommer ce capital initial, à en affecter une partie à l’activité industrielle. Partager le droit de propriété sur l’eau revient à répartir  entre les entreprises et les consommateurs et à faire de cette répartition l’allocation initilale de l’économie. Notons  la part de la propriété qui revient à la firme j. Cela veut simplement dire que la firme j a un droit initial de pollution justement égal à . Il en résulte alors en procédant de même pour toutes les entreprises, que la part qui revient au consommateur est . Nous sommes alors en présence d’une économie où le bien “ environnement ” fait l’objet de dotations initiales comme tout autre bien de l’économie.

Imaginons alors le résultat d’un mécanisme de marché où les agents échangent leurs droit d’usage (c’est à dire ici de propriété) sur l’environnement.

 

Soit p le prix d’une unité (qui correspond, compte tenu des hypothèses, à une unité de pollution) de ce bien “ environnement ”. La variation de bien être des consommateurs lorsqu’on passe de la situation initiale à une situation où la pollution totale est égale à q vaut :

 

La variation de profit de l’entreprise j :

La maximisation des ces deux grandeurs donnent les fonctions d’offre et de demande de droit d’usage de l’environnement dans cette économie fictive :

 

 

les consommateurs émettent une demande d’environnement telle qu’il y ait égalité entre prix et consentement marginal global à payer. Les firmes, elles, arbitrent entre les économies qu’elles peuvent faire en terme de dépollution et le prix d’usage de l’environnement, leur demande d’environnement est telle qu’il y a égalité entre le prix associé à l’usage de l’environnement et le coût marginal de dépollution.

 

L’équilibre concurrentiel de ce marché débouche alors sur l’allocation efficace du paragraphe précédent:

 

 

 Par rapport à la situation initiale sans droit de propriété, la répartition du surplus total est donnée par :

pour les consommateurs:  

et pour chacun des producteurs : .

La répartition des droits initiaux est en fait équivalente à une répartition ex post du surplus par rapport à la situation sans droits. Si par exemple on impose , ce qui revient, dans l’économie fictive,  à “ privatiser ” le lac au profit des entreprises, tout se passe comme si dans l’économie réelle on subventionnait les entreprises pour qu’elles dépolluent. Si au contraire on suppose que , ce qui revient à “ communaliser ” le lac, le résultat est équivalent à la taxation de la pollution.

 

Marché de droits à polluer.

Comment mettre en oeuvre, dans l’économie réelle, la distribution des droits de propriété initiale? Clairement, tout repose sur la création d’un nouveau bien “ droit d’usage d’une unité d ’environnement ” échangé sur un marché. Compte tenu de la “ technologie linéaire ” de pollution, c’est équivalent à créer un marché des droits à polluer. Une unité de ce nouveau bien donne droit à son détenteur à déverser une unité de déchets dans le lac. La section précédente peut alors être réinterprétée en terme de marché de droit. La distribution initiale des droits à polluer correspond à la distribution initiale des droits de propriété sur l’environnement. On voit alors que la répartition finale du surplus résultant de la baisse de pollution dépend crucialement de la répartition initiale des droits. Remarquons enfin que l’efficacité de ces instruments repose aussi sur la capacité de l’Etat à se substituer à l ’ensemble des consommateurs en émettant un consentement marginal à payer la qualité égal à la somme des consentements individuels. Si l’Etat n’est pas en mesure de calculer ce consentement social, alors le problème d’externalité se double d’un problème de bien (ici plutôt de mal) public.